« Vivre avec Il y a »
mercredi, 31 décembre 2008
Vivre avec Il y a
J'ai longtemps cru à la laideur d'il y a.
Cette croyance date de mes premiers essais de plume. Les instituteurs enseignaient qu'il y a n'était pas beau dans les rédactions. Ma mère confirmait. Quand elle relisait mes petits récits scolaires, elle m'interdisait les il y a comme aussi peu recommandés, selon elle, que, pour le foie, les yaourts aux fruits et le chocolat.
J'étais privé de il y a.
Je m'en portais fort bien. Lorsque j'appris, avec curiosité, qu'il s'agissait d'un gallicisme inanalysable, j'admirais l'étrangeté de l'expression, j'en goûtais l'incompréhensible, mais je n'abandonnais pas ma méfiance. Il y a était laid. On le voyait comme un bouton sur un visage. Il défigurait. Je devais par toutes sortes d'artifices l'abolir.
Il y a était pourtant tentant. Il existe, si l'on n'y prend garde, mille occasions de s'y livrer. Mais je luttais. J'étais un bon élève. Je portais les vieux postulats comme Enée son père sur son dos. Je savais à peu près me tenir à table. J'admirais le général de Gaulle. Je convenais qu'il y a là était laid, et que le laid s'évite.
Le service militaire m'a délivré de l'effroi pour le yaourt aux fruits. Les soirs, à Saint Maixent l'Ecole, pour éviter la nouriture militaire, nous pique-niquions avec quelques amis. Certains achetaient des yaourts aux fruits. J'en goûtais. Je ne tombais pas malade. Un monde s'ouvrait.
L'interdit sur il y a pesa beaucoup plus longtemps. La découverte du poème d'Apollinaire Il y a vers l'âge de vingt-cinq ans n'y fut pas étrangère. Je m'étonnais qu'un grand poète pût employer répétitivement ce gallicisme inanalysable et créer délices. Mais c'était un grand poète. J'étais prévenu : si je pouvais prétendre manger du yaourt aux fruits, il était honteux de m'égaler à l'auteur des Nuits Rhénanes. Il y a me resta suspect. Ou plutôt moi : n'avais-je pas le diable pour lui ?
Une vieille chanson que je fredonnais ne me délivra pas : Il y a longtemps que je t'aime ne suffit pa pour enchanter ses premiers mots.
Ce fut peut-être l'Iliade qui entama la réhabilitation. Il y a de l'il y a dans Iliade, me dis-je un jour. Comme j'aimais le mot Iliade, Il y a cessa pour moi de ressembler à lamblya, le nom de ces bactéries qui ont un moment envahi mon ventre d'enfance. Tout grouillement labile cessa. L'Iliade virilisa il y a.
Je m'y plus.
La langue française gagna pour moi une force nouvelle. J'y avais un peu moins de bois, et plus de chair. Je roulais en ma bouche il y a comme un organe gourmand. Je le multipliais sous ma plume. Je découvrais ses possibilités.
Je soupçonne désormais son interdit d'avoir voulu m'arracher à l'ici-bas. Il y a est vulgaire et d'ici. Il y a n'élève pas. Il y a place, pose, et constate. Il y a ne joue jamais les inspirés. Ce gallicisme propose l'installation présente. Il aide à respirer.
Ma langue était clouée au faux beau ciel par mes maîtres et par ma mère. Elle avance avec jouissance, comme une limace, aux innombrables ici-bas, car il y a, par là, le bon ciel.
Yves Le Pestipon |
10:39 dans
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