« Une seule poubelle et toutes les questions »
mercredi, 23 septembre 2009
Une seule poubelle et toutes les questions
Voici quinze jours, Sébastien Lespinasse et moi, nous faisions les poubelles du côté de la place Marius Pinel.
C'était déjà la nuit. Nous cherchions des signes. Nous voulions des forces pour mieux vivre.
Nous ne faisons pas les poubelles pour trouver des objets à des fins pratiques. Grand est l'écart entre nous et, par exemple, un noir, que nous avons rencontré, voici un mois, et qui cherchait des objets à réparer et à vendre. Nous nous sommes expliqués. Chacun sa vie et sa pratique. Nous travaillions en poésie, lui en économie. L'estime étant réciproque, nous avons poursuivi, de poubelle en poubelle, nos voies.
Notre recherche, voici quinze jours, n'a d'abord donné aucun résultat. Les premières poubelles étaient, de notre point de vue, stériles. Il arrive souvent que les gens jettent des ordures... Peut-être ne faut-il pas le regretter : si chaque poubelle était un poème, Dieu serait oublié.
A la dixième poubelle, rue Sainte Geneviève, nous avons vu un vieux classeur. Il était en surface. Il avait dû appartenir à une écolière sérieuse, tant les leçons de littérature française étaient admirablement calligraphiées et orthographiées. Nous avons admiré. Nous avons eu la nostalgie, quelques instants, de cet enseignement perdu. Mais ce classeur était seul. Sous lui, nous ne voyions que de récents numéros de la Dépêche du midi, fort bien empilés, mais sans intérêt particulier.
Sébastien Lespinasse et moi sommes de vieux routiers des poubelles. Les chercheurs de champignons, les pêcheurs de truites et le poètes réels savent lire le paysage, les tourbillons, les trous d'eau, les replis de mousse et de mots, les métaphores et les clairières, mais tout véritable pratiquant des poubelles sait appréhender sous l'apparence, qui tromperait un débutant, les promesses de trésor. Il sait les replis de l'âme avec les poubelles. Il a appris à ne pas ignorer combien l'homme est savant en déchets. Il a sondé les pudeurs, les roublardises et les vanités. Il s'est étudié. Il a étudié. En poubelles, comme en toutes choses, il faut s'exercer, méditer, philosopher, et espionner. On ne devient subtil qu'à force d'inquisition. Tout art est une vive patience de chien avec la moelle.
Nous avons soulevé les Dépêches du midi. Le classeur ne pouvait pas être seul. Des choses anciennes, et, sans doute importantes, comme lui, avaient dû être jetées en même temps que lui. On ne jette pas impunément un parfait classeur de quarante ans, auquel on a tenu si longtemps, sans jeter simultnaément d'autres archives. Les récentes Dépêches du Midi avaient chance d'être des leurres.
Voici quelques années, il nous a fallu traverser diverses ordures, toute une couche de photos de vacances, puis une couche de photos de la guerre d'Algérie, pour atteindre la couche érotique et, finalement, en nous enfonçant dans la poubelles, les ultimes profondeurs pornographiques.
Toute poubelle intéressante est stratifiée, comme les puits funéraires que les fouilles archéologiques révèlent aux environs de Toulouse. La poubelle entière, en ce cas, doit se penser comme un texte vertical, que l'explorateur déploie, et qui est imaginé comme une oeuvre par le jeteur. On ne saurait en dire autant des poubelles communes, qui peuvent parfois, contenir quelques merveilles, mais qui ne sont pas des oeuvres, puissamment définies par une intention. Face à ces poubelles, on cueille, on glane, et on passe.
Les Dépêches du Midi constituaient un masque de trente centimètres d'épaisseur. Sans le classeur, miraculeusement ou diaboliquement, posé par dessus, nous n'aurions rien découvert. Mais la légère anomalie qu'il constituait provenait, sans doute, d'un oppressant désir d'être vu qui contredisait le pudique empilement des Dépêches du Midi. C'était une éruption légère d'inconscient qui dissimulait son obscénité sous des apparences honorables. Ce classeur était un symptôme.
Nous verrons plus tard que sa présence, quand nous eûmes découvert l'étendue de notre crime, fut, au secret de nos âmes, notre plus haute justification. C'est lui que nous présenterons un jour devant Dieu. En vérité, mieux que la Béatrice de Dante, par la poubelle, il nous a entraînés au Paradis, en Enfer, et au Purgatoire. Grâce à lui, nous espérons bénéficier d'une indulgence plénière.
Yves Le Pestipon |
13:12 dans
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